Une conviction bien trop forte pour ne pas sentir que derrière tant d'affirmation quelque chose se trame ! ..

Et le thème de Bosco nous parle à ce sujet d'une bien délicate histoire : un Soleil Scorpion quelque peu malmené dans ces certitudes, dans sa logique de l'évident, par une double dissonance à la conjonction Pluton-Neptune et Saturne. Ces trois fonctions ont en commun la sensibilité à la Transcendance (source d'inspiration T, recherche t) et la formule négative non-Représentation.

Un contexte délicat où les repères de la raison et du savoir, les explicatives et la boussole solaire chavirent face à l'inconnu. Cet inconnu qui submerge, fascine, attire dans un vertige. Le choc terrible de l'invisible qui s'impose, prend une allure démesurée pour le Soleil en Scorpion, baignant dans les eaux troubles du Mystère.

Le Mystère est là, partout, et Bosco ne saurait s'en détacher, lui qui depuis son enfance essaye d'en traduire les signes, en percer le secret, dans une attitude ambivalente entre l'angoisse palpitante et la plénitude. L'enfant réel, l'enfant qu'il s'imagine en lui, possède déjà le don de ce savoir inconnu qui transpire des murmures, et cette vigilance critique de qui ne s'enfermera jamais dans un savoir définitif:

" J'observais beaucoup. Un mot, une allusion, un silence, un geste, et mon attention était en éveil. Rien ne passait inaperçu à cette vigilance attentive à tout. Attention à demi-consciente parfois, et d'autant plus infatigable. Je n'épiais pas, mais je voyais, j'entendais, je pressentais machinalement. Ensuite, et comme par instinct, je réfléchissais. Réfléchir, c'est pour un enfant, se poser avant tout une ou plusieurs questions; et cela peut suffire. Les questions ouvrent l'infini de l'espace à l'esprit. Je m'en posais plus d'une, et du matin au soir. Ma nature le veut ainsi; et ce n'est pas de ma raison que j'attends la réponse. Je préfère l'imaginer. Du moins ai-je l'impression d'écouter une voix réelle, de voir un spectacle réel, et surtout de n'avoir, au lieu d'une réponse concluante, qu'une incomplète et suggestive confidence. Rien, par bonheur, ainsi n'est épuisé... "

Cette plongée vers l'infini, ces pressentiments, et surtout cette raison ressentie comme mutilante, traduisent la deuxième nature de Bosco. Une ouverture, et la plus large, où s'offrent tous les possibles, une aventure dans l'imaginaire, l'exploration d'un autre monde lui demandent d'abandonner les derniers critères de sa raison désormais inopérants. Pourtant, ces deux rives opposées que sépare un abîme, Bosco aspire à les réunir.

" C'était, en moi, comme l'aiguille aimantée qui retourne sans cesse au pôle qui l'attire. Ce pôle, j'en connaissais mal la position, et plus mal encore la nature. Il semblait situé partout; je ne le trouvais nulle part. (...) Pour en corriger l'obsession absurde, j'emplissais mon univers de définitions. Mais, à mesure que j'en alignais, d'autres leurs étaient nécessaires. Chaque point du monde étant défini, l'ensemble en devenait immédiatement indéfinissable. "

Bascule incessante entre Transcendance et Représentation, l'inconnu toujours dépasse les limites de la connaissance rationnelle qui cherche à le nommer... La quête inlassable d'un sens pouvant borner cet autre monde pressenti, pourrait épuiser dans un combat sans issue... Mais ce serait trop espérer d'un Scorpion opiniâtre, rompu à toutes les luttes du scepticisme!

" Tandis que j'aspirais à définir, une fois pour toute le tout, je tremblais d'un secret plaisir, chaque fois qu'un nouvel échec décevait ce puéril espoir. (...) Je me complaisais ironiquement dans l'amertume. "

L'ironie plutonienne devant la prétention solaire rejoint l'obstination du Scorpion inadapté qui pousse la dérision jusqu'aux limites de l'absurde. Car, même au sein du désespoir vit encore un peu d'espérance; ce qui est largement trop pour le Scorpion...

" Ce désespoir, tant qu'il vivrait, en lui elle serait vivante. Je me mis alors à la tâche. Je dus imposer à mon désespoir le silence, et l'affaiblir jusqu'à le réduire à ne plus m'atteindre. Je l'étouffai avec lenteur, je le tuais."



Du surnaturel familier à l'indicible

Cette familiarité du surnaturel est bien encouragée chez Bosco, par une famille "où le moindre fait devenait un signe pour peu qu'il fut inattendu. Le mystère pour nous était un personnage quasiment domestique". Tout vit animé d'une âme secrète et il n'est pas d'objet, même de plus banal, qui ne révèle quelque ombre étrange, une puissance du mystère. La nature elle - même est habitée des dieux, d'un Etre qui trahis sa présence par d'infimes craquements, des échos inattendus, et dispense ses présages à la surface des eaux. Mais si avec Neptune, l'invisible manifeste sa présence, il est avec Pluton, quelque chose d'autre, plus loin encore, un absolu, un silence...

" J'étais sur le seuil du temple lui-même. Et c'était un temple muet, qui m'avertissait de me taire. "

Ainsi les contemplations de Bosco dérivent - elles de la quête des présages vers une autre dimension bien plutonienne... Et c'est devant un mur qu'il éprouve au plus fort ses effets.

" Rien ne fascine plus qu'un mur inexpressif. C'est l'indifférence des choses (...) elle me saisit d'autant plus(...) et devant ce vide, un vide se creuse en mon âme où s'efface toute pensée, où tout sentiment bientôt s'évapore. Je suis envoûté par cette absence d'être. Le temps se détache de moi, les lieux se situent hors des circonstances. Je m'immobilise et n'attends plus rien. Même ce mouvement continuel des songes dont je vis naturellement, il expire en deçà de moi. Je ne suis plus alors qu'un champ illimité disponible aux événements. Dans cet état de vide hypnotique, plus rien, même d'heureux, même de redoutable, ne semble pouvoir déranger cette inhumaine indifférence. "

Ce pôle magnétique de Pluton semble un appel au vide, au néant, mais qui, au - delà de l'ombre, éclaire d'une autre lumière. " Ma lucidité est devenue telle, qu'ayant divisé et détruit l'objet du monde, restée seule, elle se défait par le propre excès de sa transparence. Tout est clair. Tout est vide... "

Etrange lucidité, étrange vide, qui portent en eux leur propre négation. Car le vide... est plein..., notion qui rappelle la Lune. Mais Pluton, extrême du système solaire et en dernier stade de la théorie des âges, n'offrirait - il pas l'aboutissement à une plénitude, intégrée dans un temps qui se déroulerait à l'infini ou bien dans le silence d'une humaine négation? Serait -il l'apogée du RET enfin complet rappelant le RET lunaire initial? Ainsi la fin touche à l'origine...

" ...Ainsi le monde est là dans sa totalité. Car ce silence, c'est le tout. L'immensité à envahi la solitude, qui monte, depuis l 'horizon, jusqu'à ce plateau désert où je veille. "

Autre effet encore de la dissonance Pluton - Soleil, dans la difficulté éprouvée face au miroir, car le reflet n'est pas soi, il est un autre, ou bien celui qui se regarde est un autre... en fait, qui regarde qui?
Le miroir est un objet du diable et depuis longtemps Bosco est mis en garde contre ses dangers: " Tu crois te voir, mais ce n'est pas toi que tu vois. ".
L'attirance n'en est que plus forte et le résultat de son expérience est concluant:
" J'avais devant moi, mais insaisissable, un personnage étrange (...) et qui paraissait étonné de me découvrir si semblable à lui, bien que je lui fusse un mystère, le même mystère que j'étais pour moi, (...)...ce moi pareil et différent qui peut-être m'aimait (mais qui aurait pu me le dire?)... "



Derrière l'existence, l'ombre.

" Mes relations avec les objets ont été étranges du jour(j'avais huit ans) où je me suis aperçu qu'ils existaient. Jusque- là je les avais vus sans les voir, je les avais touchés sans prendre contact avec eux, je les avais utilisés sans en constater autre chose que cette insignifiante utilité. Ainsi, pour moi, une bouteille, c'était plutôt du vin qu'une forme et qu'une matière contenant du vin - ou de l'eau. Et puis, un jour, la bouteille a été une bouteille, avec ou sans vin, avec ou sans eau. Je ne sais trop comment cela s'est fait. Mais ce fut une révélation. (...)Je ne sais pourquoi, je l'ai regardée. Et au bout d'un moment elle a été. Elle a été bouteille, et rien d'autre que cela, bouteille. Elle a pris sa forme, elle a exprimé.(...) Elle s'est soudain matérialisée et de l'anonymat où, bouteille entre les bouteilles, elle était restée jusqu'alors indiscernable, elle est passée magiquement à la dignité de cette bouteille, de bouteille à part, de bouteille présente aux yeux, de bouteille individuelle, de bouteille bien dégagée de la multitude des autres bouteilles, de bouteille autonome, indépendante, nette, de bouteille ayant corps et âme, comme vous et moi, mais plus simplement. "

Qu'elle insistance à décrire l'émergence de cette bouteille de l'anonymat pour en exprimer tout son rôle, sa responsabilité-même de bouteille. Une révélation pour Bosco qui s'étend à tous les autres objets de la maison qui peu à peu, dévoilant leur existence en viennent à communiquer.

" Car les objets sont sociables, et même les plus fiers de tous, tel ce compotier de cristal ou cette soupière d'argent ; ils aiment à s'associer, à collaborer, à former des groupes et des alliances, comme on voit que les constitue un service de plats, d'assiettes, de couverts, de flacons et de vases, sur une belle table avant l'arrivée des convives. Un chandelier hors de portée, qui se vert de grise sur une étagère, souffre d'une exclusion qui, découverte, permet aussitôt d'entendre sa plainte. Ces objets issus du néant de la multitude aspirent non seulement à l'existence mais aussi à une véritable identité sociale au sein de leur communauté d'objets. Ils émettent discrètement des doléances, ils implorent des intercessions et, étant toute patience, ils savent attendre qu'on les reconnaisse et qu'on leur rende un rôle, un rang, une possibilité d'amitié. Car rien n'est plus cruel pour eux que le rebut. Ecartés du salon, de la chambre, de la cuisine, devenus gênants, portés au grenier, ils y meurent. "

Comment mieux décrire une dissonance Jupiter/Pluton?
Mais cette sensibilité à l'exclusion de la vie sociale des objets se double cependant d'une autre découverte aussi significative...
" Car, après en avoir découvert l'existence, la réalité concrète, le corps, un beau jour, j'en ai découvert davantage encore, leurs ombres. Et l'ombre projetée des objets, tache sombre et mouvante qui vit de la plus petite lueur de chandelle, est leur âme; une âme bien plus vivante et mystérieuse que le seul objet qui la cache. "
Cette découverte révèle à Bosco un nouveau monde, dont il suffit désormais de reconnaître les signes, et...

" Toute une vie longtemps enclose transfigurera la matière. "
" Or, il en existe plus d'un de ces signes magiques au milieu desquels nous vivons, mais sans en user comme sortilèges. Autant, en effet, et bien plus que les ombres, un reflet, un écho ne vivraient-ils pas par eux-mêmes, et de cette vie magnétique dont la découverte met à notre usage de nouvelles incantations? ... "

Mais comme ces objets du quotidien, il fallait à Bosco émerger de l'ombre, du silence, passer d'une enfance solitaire et libre à une première intégration sociale.

" Tout de même! Il fallut bien m'envoyer à l'école... Ah! Mes parents n'aimaient pas beaucoup cette idée. Mais ça n'était pas qu'une idée. C'était une obligation. Déjà l'école, hélas, était obligatoire. Or, mes parents tenaient en suspicion tout ce qu'on rend obligatoire. (...) Le mot nous déplaît, le fait aussi. Ne relève-t-il- pas, en effet, du Registre, de l’État civil, du cadastre, de la Statistique, monstres abhorrés? On vous enrégimente pour le B-A-BA. Or, c'est si beau le B-A-BA enseigné librement sous un platane! Le cœur y est. Mais il n'y est plus si l'on vous oblige à aller ailleurs de gré ou de force. Et toujours, c'est plutôt de force que de gré. Le mal vient de là, de ce mot, du mot: obligatoire. Il est dangereux, il est laid, il est pénitentiaire. Il sent ce qu'on appelle "La Justice". Éloigné soit-il! ... "

Les valeurs jupitériennes ont bien du mal à résister à ce désir d'absence de limites, de contraintes, que peuvent instaurer les dominantes Pluton et Neptune. Quel est ce jeu social auquel il faut participer, aliéner son originalité, sa profondeur... là où il faut s'inscrire dans un échange, se plier à des lois qui enferment.

On finit par envoyer Bosco à l'école, à quatre ans, trois jours à une maternelle, derrière un mur, celui des remparts d'Avignon.

" D'abord, entre moi et tous les enfants, s'étendait un espace nu qui paraissait immense, un infranchissable désert. (...)Ils m'intimidaient moins, mais je me répétais obstinément que je ne voulais pas me mêler à leurs jeux. Pourquoi? ... Probablement parce que c'était leurs jeux et non les miens. Des jeux depuis longtemps organisés, déjà quotidiennement joués par tous ces petits, des jeux qui avaient leurs règles sévères (car les jeux d'enfants ont des lois qu'il faut observer rigoureusement), toutes choses qui m'étaient à peu près inconnues et dont je pressentais qu'elles me resteraient, quoi que l'on fit à jamais étrangères. Et je m'y refusais d' avance douloureusement... Car je souffrais de ce refus, et en même temps j'en tirais en moi un plaisir amer, celui qu'on éprouve quand on est à part, plaisir de l'orgueil malheureux, mais plaisir tout de même... "

Mais si l'école menace cette enfance solitaire, peuplée de songes et d'aventures fantastiques, elle ouvre aussi la porte du savoir, l'accès au langage qui aura permit de faire de Bosco un conteur.

" Je ne me doutais pas non plus que ces choses si chères pourraient devenir des paroles, et qu'en m'enseignant la parole, il arriverait que l'école m'aiderait à fixer dans ma pensée ces visions et ces états d'âme qui, vivant intérieurement, n'étaient jamais sortis de moi. "

Tout rentrerait-il dans l'ordre? La parole l'a-t-elle libéré de ces ombres en suspens? Il semblerait que Bosco ai réussit à réconcilier ces deux natures qui l'habitent...

" Entre ces voix et ce silence, entre l'homme abrité avec ses bêtes au creux de la montagne et l'immensité ouverte en tous sens à tous les voyages, à toutes les morts, mais aussi à tous les espoirs, je chemine, attentif à ne pas glisser de la crête privilégiée d'où je vois ces deux mondes. Et je marche, j'avance. Je dirige mes pas sur le point de la terre où, chaque matin, se lève l'étoile qui annonce l'aube. L'aube me suffit. Elle est fraîche. Elle est l'espérance. Elle convient à mes prières... "

Ainsi se termine cette histoire, sur une lueur, une lampe qui de l'autre rive continue de briller et attend...

" Je suis né pour une double servitude. Il me reste maintenant à l'accepter. J'y incline, car je ne cherche plus le bonheur, mais la paix. Peut-être la paix est-elle plus que le bonheur... "


Citations à partir de l’œuvre de Henri Bosco.





Ses dernières volontés(article Wikipédia)

Le chantre du Luberon désira reposer dans le cimetière de Lourmarin. Il fit part de ses dernières volontés dans un texte publié par ses amis d'Alpes de Lumières.

" Enfin on chantera tes bêtes : renards, martres, fouines, blaireaux, nocturnes et le sanglier qui est peut-être ton dernier dieu (Mais silence, tu me comprends...).
Pour moi, si quelque jour, je dois tomber loin de ta puissance, je veux qu'on ramène mes cendres à Lourmarin, au nord du fleuve, là où vécut mon père et où, trop peu de temps, j'ai connu les conseils de l'Amitié.
Et que l'on creuse alors sur ta paroi, en plein calcaire, là-haut loin des maisons habitées par les hommes, entre le chêne noir et le laurier funèbre, un trou, ô Luberon, au fond de ton quartier le plus sauvage. J'y dormirai.
Et puisse-t-on graver, si toutefois alors quelqu'un prend souci de mon ombre, sur le roc de ma tombe, malgré ma mort, ce sanglier "

(Alpes de Lumières (1972), post-face de Luberon.)

Il meurt en 1976. Ses romans pour adultes ou pour enfants constituent une évocation sensible de la vie provençale où une imagination débordante et succulente participe au pouvoir envoûtant de son écriture. De nos jours L'âne culotte, Malicroix, L'enfant et la rivière, L'homme de Sivergues sont toujours réédités et restent des succès de librairie.