Comme depuis quelques années les débats, conférences et les travaux de nombreux scientifiques sont particulièrement axés autour des rapports qu'entretiennent la science et la conscience ; je reprends ici quelques extraits du livre de Boris Kouznetsov "Einstein sa vie, sa pensée, ses théories" ainsi que celui d'A. Einstein "Comment je vois le monde" (en italique).

L'humour, le non conformisme et l'humanisme émergeant d'une perception "révolutionnaire" du monde caractérisent sa personnalité globale. En 2005, sur l'ancienne version de ce site j'avais partagé ces extraits, sans interprétation astrologique. Il me semble que cette vision intuitive semble faire tache d'huile dans tous les domaines de la science, et que plus que jamais, le facteur "T" (mode intuitif) se révèle au grand jour comme essentiel pour être "en intelligence" avec la Nature du Réel… et que plus on "dévoile" en soi-même, plus la perception devient transparence…

A retenir essentiellement du thème, la structure Soleil/Mars/Pluton où l'on retrouve une belle harmonie entre les trois domaines du RET, avec la conjonction Soleil/Mercure/Saturne en relation avec Vénus/Lune, puis l'opposition Uranus/Jupiter.



Religion et science

Pour lui, les religions traduisent une idée de Dieu par l'imaginaire des hommes. L'ultime degré de l'expérience religieuse dans sa pureté totale est l'expression d'une religiosité cosmique, au-delà de tout concept anthropomorphe.

"L’être éprouve le néant des souhaits et volontés humaines, découvre l’ordre et la perfection là où le monde de la nature correspond au monde de la pensée. L’être ressent alors son existence individuelle comme une sorte de prison et désire éprouver la totalité de l’Etant comme un tout parfaitement intelligible. Des exemples de cette religion cosmique se remarquent aux premiers moments de l’évolution dans les psaumes de David ou chez quelques prophètes. A un degré infiniment plus élevé, le bouddhisme organise les données du cosmos que les merveilleux textes de Shopenhauer nous ont appris à déchiffrer. Or, les génies religieux de tous les temps se sont distingués par cette religiosité face au cosmos. Elle ne connaît ni dogme ni Dieu conçu à l’image de l’homme et donc aucune Eglise n’enseigne la religion cosmique. Nous imaginons aussi que les hérétiques de tous les temps de l’histoire humaine se nourrissaient de cette forme supérieure de la religion. Pourtant, leurs contemporains les suspectaient souvent d’athéisme mais parfois, aussi, de sainteté. Considérés ainsi, des hommes comme Démocrite, François d’Assise, Spinoza se ressemblent profondément.
Comment cette religiosité peut-elle se communiquer d’homme à homme puisqu’elle ne peut aboutir à aucun concept déterminé de Dieu, à aucune théologie ? Pour moi, le rôle le plus important de l’art et de la science consiste à éveiller et à maintenir éveillé ce sentiment dans ceux qui lui sont réceptifs. Nous commençons à concevoir la relation entre la Science et la religion totalement différente de la conception classique.

(…)Il est donc compréhensible que les Eglises aient, de tous temps, combattu la Science et persécuté ses adeptes. Mais je soutiens vigoureusement que la religion cosmique est le mobile le plus puissant et le plus généreux de la recherche scientifique. Seul, celui qui peut évaluer les gigantesques efforts et, avant tout, la passion sans lesquels les créations intellectuelles scientifiques novatrices n’existeraient pas, peut évaluer la force du sentiment qui seul a créé un travail absolument détaché de la vie pratique. (…)

Celui qui ne connaît la recherche scientifique que par ses effets pratiques conçoit trop vite et incomplètement la mentalité des hommes qui, entourés de contemporains sceptiques, ont montré les routes aux individus qui pensaient comme eux. Or ils se trouvaient dispersés dans le temps et l'espace. Seul, celui qui a voué sa vie à des buts identiques, possède une imagination compréhensive de ces hommes, de ce qui les anime, de ce qui leur insuffle la force de conserver leur idéal, malgré d'innombrables échecs. La religiosité cosmique prodigue de telles forces. (…) L'esprit scientifique, puissamment armé en sa méthode, n'existe pas sans la religiosité cosmique."


Cette religiosité qui ne connaît pas de dogme repose sur la vision intuitive, source de sa propre façon de percevoir le réel. A notre époque, les neurologues auraient peut-être fait passer Einstein sous IRM pour voir quelles zones de son cerveau s'activaient… mais comprendre le pourquoi reste de l'ordre du mystère.

Voyons comment Boris Kouznetsov décrit cette façon de percevoir …

L’intuition est essentielle dans toute création scientifique

Einstein fut un exemple rare de physicien chez qui les intérêts et les goûts esthétiques étaient étroitement liés aux idées scientifiques. Ce qui ne veut pas dire qu’il appliquait des principes esthétiques à l’exposé de ses idées physiques. (…) Einstein parlait des faits paradoxaux qui font abandonner une construction logique et conventionnelle en faveur d’une nouvelle. Au départ, cet abandon se produit intuitivement. Le fait paradoxal induit une série de vagues associations d’idées dans l’esprit du savant. Tout se passe comme si celui-ci voyait l’ensemble de la chaîne de déductions et de conclusions qui dépouillerait le fait observé de sa nature paradoxale par la vertu du caractère nouveau et paradoxal de la chaîne tout entière. Mozart parlait du moment suprême de la création : l’instant où le compositeur entend l’ensemble d’une symphonie qu’il n’a pas écrite.

Pour Einstein, l’intuition est essentielle dans toute création scientifique : c’est l’élément qui relie celle-ci à la création artistique. Il attachait aussi de l’importance à l’intuition morale. En 1953, il écrivait à un de ses vieux amis : "Les chiens et les enfants distinguent immédiatement une personne gentille d’une personne méchante : guidés par leur première impression, ils se confient à la première et tiennent la seconde à l’écart. En général, ils ne font pas d’erreur, même s’ils n’appliquent pas de méthode scientifique ou d’étude systématique de physionomie lorsqu’ils accumulent leurs petites expériences."

En observant les étapes logiques et psychologiques qui menèrent Einstein à la théorie de la relativité, on est frappé par cette faculté d’Einstein de regarder le monde comme s’il le voyait pour la première fois, sans être contraint par des associations conventionnelles. (…) "Dans la pensée scientifique, disait Einstein, l’élément poétique existe toujours. L’appréciation d’une bonne science et l’appréciation d’une bonne musique exigent, en partie, des processus mentaux similaires." C’est alors qu’intervient le second aspect de la création scientifique et artistique. La réalité débarrassée des associations habituelles se pare de couleurs fraîches et paradoxales.

L’idéal "extra-personnel"

Einstein, depuis son enfance, avait cherché à se libérer des banalités quotidiennes et des préoccupations purement personnelles, mais il lui fallut beaucoup de temps pour trouver l’idée qui serait capable de transcender ses intérêts personnels. Pendant une brève période, il crut trouver une solution dans la religion. Il se consacra ensuite à un idéal extra-personnel, mais réel et rationnel. La cause première en avait été la lecture de publications scientifiques populaires. Einstein fit plus que rejeter les dogmes religieux parce qu’ils ne supportaient pas la comparaison avec l’image scientifique du monde : à plus long terme, ce rejet débouche sur une protestation sociale et une rupture complète avec les convictions de l’environnement social du savant.

Après avoir rejeté la religion, Einstein se rallia à l’idéal qui domine sa vie et son œuvre. Le but essentiel de sa vie fut alors la connaissance du monde objectif et "extra-personnel".

"Là-bas, au-dehors, il y avait ce monde immense, qui existe indépendamment de nous, êtres humains, et qui se présente à nous comme une grande et éternelle énigme, accessible au moins partiellement à nos sens et à notre pensée. La contemplation de ce monde m’attirait, comme une libération, et je remarquai bientôt que plus d’un homme que j’avais appris à estimer et à admirer, avait trouvé une liberté et une sérénité intérieure en se consacrant à cette contemplation. L’appréhension, dans les limites des possibilités, de ce monde extra-personnel, semi-consciemment ou inconsciemment, s’imposait à mon esprit."

L’idée de la nature objective du monde, qui naquit, pendant l’enfance d’Einstein, de cette quête d’un monde "extra-personnel", avait en outre un aspect émotionnel et moral.

Einstein était encore presque un enfant quand "ce monde immense qui existe indépendamment des êtres humains" lui apparut comme un objet de recherche capable d’entraîner l’homme au-delà des limites imposées par ses sensations et ses croyances ; la conception du monde comme un système ordonné d’impressions des sens ne pouvait qu’être étrangère à Einstein. Par ailleurs, l’idée d’une connaissance fondée sur un a priori logique ne lui paraissait pas acceptable non plus.

"La grande et éternelle énigme" du monde ne coïncide ni avec nos sensations, ni avec nos constructions logiques. Elle existe comme une réalité indépendante. La connaissance du monde est un processus d’approche de la vérité. La tendance anti dogmatique de la science est liée à la reconnaissance de l’indépendance dont jouit l’objet de ses investigations.

Einstein croyait fermement qu’un schéma unifié embrassait toutes les lois de la réalité physique et, quand il décrit sa jeunesse, il la présente assez naturellement à la lumière d’idées qui se sont cristallisées lors de sa maturité.(…) Il part de l’idée essentielle que le monde réel est indépendant de la connaissance.(…) Il vit dans le développement de la science un "envol à partir de l’étonnement", c’est à dire, un départ vers de nouvelles séries de concepts et de constructions logiques qui ne contredisent pas "l’étonnement" et se basent sur lui, comme sur de nouvelles données expérimentales. Ceci ne signifie pas qu’il faille rejeter comme critère de vérité l’application des constructions logiques, loin de là, mais les constructions logiques ne peuvent ni garantir par elles-mêmes, ni déterminer à elles seules leur contenu ontologique. Elles deviennent ontologiquement signifiantes quand elles sont mises en corrélation avec les observations et impressions des sens. Une telle vérification ontologique a lieu continuellement. Sans elle, la cohérence logique ne garantit jamais la vérité des jugements.

"Une proposition est formellement correcte, écrivait Einstein, si, à l’intérieur d’un système logique, elle est déduite selon les règles logiques admises. Un système a un contenu de vérité selon qu’il est possible de le coordonner certainement et complètement à la totalité de l’expérience."

Si nous tenons compte de l’infinie complexité de l’univers, il en résulte qu’il n’existe pas de théorie logiquement conséquente et compatible avec certaines impressions des sens, qui soit à l’abri d’un "étonnement" et donc d’une évolution possible vers de nouvelles théories.
Selon Einstein, la connaissance d’une loi qui régit une réalité physique est en elle-même une réalité qui existe en dépit de l’infinité du monde, en dépit des paradoxes et des énigmes qu’elle pose au chercheur et de la nature relative, restreinte et défectueuse de n’importe qu’elle étape dans le progrès de la connaissance. Einstein construit même un paradoxe : le monde est infini ; la connaissance que l’on en a est limitée à tout instant donné ; pourtant, le monde est connaissable. Tel est le vrai sens de l’observation d’Einstein : "La chose la plus incompréhensible à propos du monde, c’est qu’il est compréhensible".

Einstein met l’accent sur l’idée d’un monde objectif rationnel et connaissable, opposé à la conception d’un univers chaotique et de la nature subjective des lois qui le gouvernent. "On pourrait s’attendre, dit Einstein, à ce que le monde soit soumis à la loi dans la mesure seulement où nous intervenons avec notre intelligence ordonnatrice. Ce serait une espèce d’ordre comme l’ordre alphabétique des mots d’une langue." Mais cette conception est opposée à la théorie de la gravitation de Newton, qui est en accord avec l’ordre causal objectif de la nature. La connaissance pénètre de plus en plus profondément dans cet ordre, et constitue elle-même le " miracle " qui ne fait que s’accroître avec le développement de nos connaissances. Ce miracle, poursuit Einstein, marque le point faible de la conception positiviste ou dogmatique d’un monde "dépouillé de miracles".
Si l’idée d’harmonie régit la nature, les concepts qui l’expriment ne peuvent constituer une charpente a priori dans laquelle peuvent s’insérer les résultats des observations concrètes. S’il existe une hiérarchie de lois de plus en plus générales établissant l’harmonie universelle et embrassant tous les phénomènes, chaque observation empirique concrète ne peut révéler la nature des choses. Elle doit être liée à un ensemble de concepts logiquement unis. Si l’harmonie du monde ne consiste pas en l’uniformité des phénomènes et si elle n’exclut pas la complexité parfois contradictoire de la réalité physique, alors la déduction logique de concepts basés sur certains faits peut contredire d’autres faits et mener à une nouvelle théorie, paradoxale par rapport à l’ancienne.

Mathématique et réalité

Chez Einstein, l’intuition physique précède les constructions logiques et mathématiques. Une intuition, même vague, associée à des idées surgies dans des domaines entièrement différents, fournit parfois un point de départ acceptable pour une théorie. Nous pouvons juger du mécanisme de la pensée scientifique d’Einstein à partir, entre autres choses, d’un document d’une valeur considérable pour l’histoire et la psychologie de la création scientifique.

En 1945, un mathématicien français, Jacques Hadamard, demanda à un certain nombre de ses collègues de définir les images mentales qui les aidaient dans leur travail. Voici la réponse d’Einstein : "Les mots du langage, qu’ils soient écrits ou prononcés, ne me semblent jouer aucun rôle dans mon mécanisme de pensée. Les entités physiques qui semblent servir d’éléments dans mes pensées sont certains signes et des images plus ou moins claires qui peuvent être volontairement reproduits et combinés. Il y a, bien sûr, un certain lien entre ces éléments et des concepts logiques voisins. Il est clair aussi que le désir de parvenir finalement à des concepts logiquement unis constitue la base émotionnelle de ce jeu assez vague avec les éléments que j’ai mentionnés. Mais, considéré d’un point de vue psychologique, ce jeu de combinaison me paraît être la caractéristique essentielle de la pensée productive – avant que s’établisse un quelconque lien avec des constructions logiques exprimées avec des mots ou à l’aide d’autres types de signes qui peuvent être communiqués à autrui."

Les constructions logiques qui peuvent être exprimées par des mots ou des symboles mathématiques représentent un second stade. En premier lieu apparaissent des entités physiques visuelles ou motrices qui se combinent et s’associent entre elles.

"Les éléments mentionnés sont, dans mon cas, de nature visuelle et musculaire dans une certaine mesure. Il ne faut chercher laborieusement des mots conventionnels ou d’autres signes qu’en second lieu, quand le jeu d’association dont je parle est suffisamment développé et quand il peut être reproduit à volonté."

Les éléments visuels et musculaires qui entrent dans ce jeu d’association étaient probablement de nature cinétique et dynamique. Nous pouvons supposer que les éléments initiaux que le penseur projette dans son esprit pour provoquer des associations d’idées sont des images assez vagues de corps en mouvement et d’imprécises sensations musculaires de forces en action.

Dans ces associations, des images, certaines représentants des entités physiques, d’autres de simples symboles correspondant à des entités plus complexes, mécaniques ou non, arrivent en contact, se combinent ou se heurtent. Il s’agit par exemple de l’évocation des marées, qui symbolise des oscillations électromagnétiques inaccessibles à la perception visuelle directe, ou des règles graduées en mouvement représentant des systèmes de référence. Au second stade, quand la pensée intuitive cède la place à des constructions logiques, le penseur entend les mots qui expriment des concepts ou entrevoit ces notions sous la forme de symboles mathématiques. Dans le cas d’Einstein, les images visuelles ou motrices des premières associations étaient remplacées par une représentation auditive des mots qui exprimaient la construction logique.
Hadamard avait demandé au savant quel genre de " mots internes " il employait. Einstein lui répondit : " Visuels et moteurs. A un stade où les mots interviennent quand même, ils sont, dans tous les cas, purement auditifs, mais ils n’interfèrent qu’à un stade secondaire, comme je l’ai déjà dit. "
Pour Einstein, les concepts scientifiques ne sont pas directement liés aux impressions des sens et ne doivent pas nécessairement avoir une signification physique directe : ils l’acquièrent souvent au cours de l’élaboration de concepts plus complexes. Finalement, les conclusions logiques deviennent comparables aux observations, qui confèrent un sens physique à l’enchaînement des pensées. Dans une telle construction, nous l’avons déjà dit, la logique et l’intuition s’entremêlent. A chaque stade successif, cette dernière anticipe les conclusions physiques de la théorie construite. Chaque fois que l’analyse logique rencontre un carrefour, l’intuition physique la pousse par un raccourci vers la vérification expérimentale. Tout comme la lumière emprunte toujours le plus court chemin, même quand elle rencontre un système complexe de miroirs, les pensées d’Einstein empruntaient, d’un concept à l’autre, le chemin le plus direct vers la vérification expérimentale de la chaîne complète du raisonnement et vers les conceptions qui permettent une telle vérification. L’intuition physique, ou plutôt " l’intuition expérimentale ", le guidait vers l’expérience nécessaire pour que la théorie acquière une signification physique. L’intuition d’Einstein, peut-on dire, reposait sur la base ferme des concepts et des images de la physique expérimentale. Des miroirs, des circuits électriques ou des barres rigides lui fournissaient des images mentales qui se prêtaient à de nouvelles combinaisons.

Critères de sélection des théories scientifiques et fondements de la physique classique

Dans ses Notes autobiographiques de 1949, Einstein parle de deux critères qui président à la sélection et à l’évaluation des théories scientifiques. Le premier est guidé par la " confirmation externe " de la théorie : celle-ci ne doit pas contredire les faits empiriques. Cette exigence est évidente mais son application est délicate, car il est souvent possible d’assurer l’adoption d’une théorie par l’addition de certaines suppositions complémentaires. Le second critère, plus vague, est celui de la " perfection interne naturelle " ou de la " simplicité logique ", de la théorie. Pour bénéficier de cette " perfection interne ", la théorie ne devrait pas être le résultat d’un choix arbitraire parmi des théories d’une valeur à peu près égale.
Ces critères qui guident la sélection des théories physiques sont, au dire d’Einstein, d’une précision assez faible, mais Einstein déclare qu’il n’est pas immédiatement – et peut-être pas du tout – capable de substituer à ces suggestions des définitions plus précises. En tous cas, continue-t-il, il s’avère que parmi les " augures " il y a habituellement accord quant au jugement de la " perfection interne " des théories et plus encore quand il s’agit de juger le degré de " confirmation externe ".

Aidé par son sens remarquable de l’harmonie et, comme il le disait lui-même, par la " musicalité " de sa pensée scientifique, Einstein attachait une grande importance aux impressions esthétiques qu’il faisait dépendre de la " perfection interne " de la théorie. Pour lui, le critère de " perfection interne " permet de sélectionner sans ambiguïté une théorie en accord avec les faits expérimentaux. La théorie qui jouit du plus haut degré de " perfection interne " est celle qui repose sur le moins de suppositions arbitraires. Une telle théorie est mieux adaptée qu’une autre théorie à décrire la structure et le développement de l’image du monde, sur la base de lois uniformes et universelles de la réalité physique. C’est elle qui s’approche le plus de la ratio objective de l’univers.

Avec lui, l’élégance mathématique acquiert une signification épistémologique : l’élégance de la théorie est un reflet de son accord avec le monde réel. La théorie de la relativité, nous le verrons plus tard, offrait l’explication la plus élégante aux faits connus de l’électrodynamique et de l’optique.(…) La " perfection interne " d’une théorie se mesure par l’affinité entre la théorie et l’unité réelle du monde. Quand Einstein commença sa recherche d’équations exprimant les lois de la réalité physique et qui resteraient covariantes (c’est-à-dire qui garderaient leur validité) pour divers déplacements spatiaux et temporels, il cherchait à donner à sa théorie le plus de " perfection interne " possible, ce qui lui garantissait l’accord de cette théorie avec l’unité objective du monde, avec la conservation des relations physiques et avec la causalité naturelle embrassant l’univers infini.

La pensée d’Einstein se caractérise notamment par une affinité, et parfois une fusion, entre les problèmes physiques et philosophiques. C’est une des conséquences de sa quête de " perfection interne ", de sa volonté de bâtir des théories physiques qui découlent naturellement du modèle général de la réalité. Cette idée trouve une confirmation croissante dans le développement actuel de la physique théorique. Au début des années quarante, Einstein fit remarquer que les difficultés de la pensée physique ne pouvait être surmontées que par une union plus profonde de l’analyse physique et de l’analyse philosophique. Il écrivit en 1944 : " Les présentes difficultés de sa science forcent le physicien à en venir aux prises avec des problèmes philosophiques à un degré plus important que ce n’était le cas pour les générations précédentes. "

Pourquoi les réponses d’Einstein sont-elles moins importantes que les questions qu’il posa ?
Il faut dire d’abord qu’aucune solution positive et non ambiguë n’a encore été trouvée au problème du champ unitaire. Cependant, cela n’explique pas pourquoi Einstein hésitait à s’éloigner de l’ " idéal classique " qu’il poursuivit en élaborant la théorie de la relativité. Les idées d’Einstein constituaient un accomplissement de cet " idéal classique " tricentenaire qui s’incarna dans le rationalisme de Descartes et de Spinoza, dans la mécanique de Newton et dans la physique du XIXème siècle. La science d’aujourd’hui se trouve au seuil d’une nouvelle période. Cependant, Einstein n’est pas devenu le héraut de ces tendances positives. Son génie lui permit de comprendre les limites de l’ " idéal classique " et de chercher une nouvelle harmonie causale qui, nous le savons à présent, transcendait cet idéal. Einstein n’alla pas plus loin.

Proche de l’idée d’Einstein de " perfection interne " est la quête, devenue courante dans les années soixante, d’une théorie cohérente découlant de la totalité de la connaissance du monde qui substantialiserait les méthodes acceptées " à crédit ", dans l’attente d’une théorie riche en " perfection interne ". Le besoin d’une telle théorie pousse la physique à se pencher sur des problèmes généraux, embrassant tout l’univers, et à réaliser une nouvelle synthèse entre l’analyse philosophique et les conceptions physiques concrètes.

En conclusion, citons Einstein :

"Le mental intuitif est un don sacré et le mental rationnel est un serviteur fidèle. Nous avons créé une société qui honore le serviteur et a oublié le don."

Si aujourd'hui fleurissent partout des pratiques de "l'intelligence intuitive", n'oublions pas qu'elle est un don de la transcendance pour celui qui accepte de se dégager de son Moi et voir le monde d'un point de vue "extra-personnel" ; ceci est une véritable "révolution intérieure".

Et Boris Kouznetsov dit encore :
Beaucoup de personnes qui ont connu Einstein se demandent souvent ce qui fut en lui le plus grand : son cerveau, capable de décrire la structure de l'univers, ou son coeur, toujours prêt à réagir devant la douleur humaine ou toute manifestation d'injustice sociale. Cette question se retrouve dans beaucoup d'évocations de la vie d'Einstein à Princeton. Gustav Bucky, le médecin du savant, écrit qu'en dehors de l'impression créée par la profondeur et le non-conformisme des idées d'Einstein, "sa bienveillance humaine restait le plus grand et le plus émouvant des miracles".




"L'émotion la plus magnifique et la plus profonde que nous puissions éprouver est la sensation mystique. Là est le germe de toute science véritable. Celui à qui cette émotion est étrangère, qui ne sait plus être saisi d'admiration ni éperdu d'extase est un homme mort. Savoir que ce qui nous est impénétrable existe cependant, se manifestant comme la plus haute sagesse et la plus radieuse beauté que nos facultés obtuses n'appréhendent que sous une forme extrêmement primitive, cette certitude, ce sentiment est au cœur de tout sens religieux véritable." (Correspondance d'Einstein)





Voir ici comment Temple Grandin pense aussi non pas en langage verbal mais en images visuelles...